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AFRIQUE: LA COP21…ET APRÈS?
Mercredi 30 mars 2016, Palais du Luxembourg

TABLE RONDE 4  : “La transition vers une Afrique verte, au-delà de l’Accord de Paris: comment bâtir des sociétés soutenables?”

Contribution de Brigitte Ameganvi, Présidente de Synergie-Togo

  1. Transition vers une Afrique verte ?

Si l’on s’en tient au seul pilier environnement sur les trois piliers qui définissent le développement durable, la question interpelle. Car avec ses 1,1 milliard d’âmes, soit 16% de la population mondiale, l’Afrique ne contribue que pour 4% des émissions de gaz à effet de serre de la planète; et cela malgré une pratique dramatiquement polluante liée à l’exploitation pétrolière, le torchage du gaz naturel fatal. De plus, le continent africain détient encore une part importante des forêts primaires mondiales qui jouent un rôle clé dans l’équilibre du climat mondial.

A priori donc, l’Afrique est verte. Et si le continent a urgemment besoin de transition, il s’agit principalement d’une transition vers le développement durable d’une part, d’une transition démocratique d’autre part, les deux processus étant foncièrement interconnectés.

Et pour éviter que nous ne nous perdions dans un débat sur la “poule et l’œuf” au sujet du développement et la démocratie, j’inscris ma réflexion dans le cadre des trois temps forts “Onusiens” qui ont marqué l’année 2015, à savoir :

  • Juin 2015 : l’accord d’Addis Abeba sur le financement du développement ;
  • Septembre 2015 : l’accord sur les Objectifs du Développement Durable (ODD) ;
  • Décembre 2015 : l’accord de Paris sur le climat (COP 21).

Certes, rien n’est encore fait, les financements qui sont la pierre angulaire de ces processus de développement durable sont encore loin d’être réunis et une multitude d’instituts et centres de recherche se posent encore, comme nous, la question cruciale de “l’après”, qu’il s’agisse de la COP 21 ou des ODD

Mais l’accord sur les ODD a le mérite de définir une feuille de route complète, intégrée et commune à toute la planète. Cette feuille de route :

  • Ajoute l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’énergie aux objectifs de base du millénaire (OMD, 2000-2015),
  • Reconnait le droit de tous à la prospérité, à travers l’accès de chacun aux bénéfices d’une croissance économique soutenue, partagée et durable ainsi qu’à une industrialisation durable qui profite à tous et encourage l’innovation,
  • Prône des modes de consommation durables et préconise des moyens à mettre en œuvre pour promouvoir la protection de l’environnement
  • Affirme que la Paix, la Justice et la bonne gouvernance sont des conditions sine qua non du développement durable,
  • Envisage, enfin, la mise en place d’un partenariat mondial pour financer le développement durable.

Tout y est donc, et la vraie question qui marque l’après de ces trois rendez-vous de 2015 est donc celle du “comment ?” Comment faire pour assurer ce développement inclusif, cette industrialisation durable, préservant les ressources et respectueuse de l’environnement ? Et concernant l’Afrique, il s’agit de concevoir comment bâtir cette société industrielle soutenable, qui n’altère ni l’empreinte environnementale ni l’empreinte carbone du continent.

 

  1. La vraie question : comment bâtir des sociétés soutenables?

Je verse ici quelques pistes au débat sur le comment :

Il va s’agir d’analyser, de planifier et de prévoir dans les moindres détails comment une réponse satisfaisante peut être durablement apportée

  • Aux besoins primaires des populations africaines ? (nourriture, eau et énergie, éducation, égalité des sexes et autonomisation des femmes)
  • A la promotion de la prospérité pour tous, tout en préservant l’environnement afin de lutter efficacement contre le changement climatique
  • A la promotion de l’avènement de sociétés pacifiques ouvertes à tous,
  • assurant l’accès de tous à la justice
  • mettant en place, à tous les niveaux des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous comme le précisent les objectifs 16, et 17 des ODD.

Mais pour que ces plans et projets conçus aient des chances d’être efficaces, il faut un formidable changement de paradigme à tous les niveaux :

 

2.1  Au niveau des Etats d’abord

Il faut d’abord que nous acceptions tous que la paix et la stabilité sous la férule de dictateurs élégamment baptisés hommes forts est un leurre. Car l’ordre de l’injustice et de la force est désordre. Il est même chaos, tôt ou tard, et nul n’étant éternel, le fameux “moi ou le chaos” dont ces dictateurs menacent les populations et partant le monde globalisé dans lequel nous vivons, finit toujours par advenir plus vite que l’on ne l’imagine, et au plus tard lorsque ces hommes forts décèdent.

Et l’on me dira, comme cela m’a été dit ici, en France, oui mais, les successions dynastiques comme mode de dévolution du pouvoir, sont gage de stabilité et de continuité. Gage de stabilité de républiques bananières peut-être ? Et il faut regarder de près de quelle continuité on nous parle.

Car dans une succession dynastique, le pays, son sous-sol, ses richesses, sa population, l’air que cette population respire et tout ce qui va avec, absolument tout est considéré comme faisant partie du patrimoine personnel du père légué au fils. Et la seule préoccupation de ce dernier est de jouir de ce héritage, le plus longtemps possible ; et d’ailleurs assez rapidement de manière exclusive, au détriment de la fratrie. C’est ce qui se passe au Togo, au Gabon, et cela arrivera immanquablement au Congo et ailleurs, dans tous ces pays où l’on estime que ce mode de dévolution du pouvoir est ce qui convient aux nègres.

Il faut aussi que nos Etats changent de logiciel, par rapport à ces opérations de maintien de l’ordre ou d’envoi de troupes, ces missions de maintien de la Paix que l’on dépêche en Afrique, après avoir soutenu, aidé et laissé le chaos se construire et s’installer pendant des décennies, officiellement par complaisance, officieusement pour de petits arrangements mafieux ou presque.

Ce n’est un secret pour personne : l’Afrique a loupé le coche des OMD. Quinze premières années du troisième millénaire pour rien, dans certains pays africains ! Dans certains pays, les indices de pauvreté se sont fortement dégradés au cours de ces 15 années, lorsque ces indices sont dé-moyennisés de l’enrichissement indécent des élites politiques au pouvoir. C’est le cas au Togo et la situation de ce point de vue ne doit pas être bien différente dans certains “émirats” d’Afrique centrale.

Pour se donner les chances d’atteindre les ODD, comme les objectifs de l’accord de Paris, il faut que nos Etats africains retrouvent le sens du bien commun, exercent la responsabilité qui leur incombe d’instaurer un Etat de droit, mettent en place les infrastructures, libèrent énergies et initiatives par un fonctionnement véritablement démocratique des institutions publiques et du monde des affaires. Enfin, la rentabilité et la productivité des investissements en infrastructure ne doivent pas être obérées par une corruption endémique.

Et permettez-moi d’émettre des doutes sur la capacité d’un système de prédation à se convertir en système démocratique, sur la capacité des rentiers à se transformer en bâtisseurs. C’est la raison pour laquelle la question de l’alternance démocratique est incontournable. Elle l’est pour que les dirigeants au pouvoir n’aient pas pour seule préoccupation la recherche permanente des voies et moyens pour s’y maintenir, mais consacrent leur énergie à respecter les engagements qu’ils ont pris, en commençant par la constitution de leur pays, les accords internationaux qu’ils signent, ODD et accord de Paris y compris…

Cette question de l’alternance démocratique est incontournable également pour que les préoccupations et le génie inventif de nos dirigeants ne se limitent pas uniquement aux innovations visant à organiser des élections pour ne pas les perdre. Et les dernières semaines nous ont donné à contempler, abasourdis, des méthodes sinistrement originales d’organiser des élections avec la certitude de les gagner.

Oui, en Afrique comme ailleurs, pas de développement durable sans démocratie, et pas de démocratie sans alternance.

 

2.2  Au niveau des partenaires, des bailleurs de fonds et des multinationales ensuite

Et je leur dis ceci : comment voulez-vous que vos alliés qui n’ont pas su développer leurs pays avec des énergies fossiles à 150$ le baril, ceux qui ont pillé ou laissé piller les forets primaires dont la nature a doté leur pays puissent faire, avec un baril à 30$ et en gérant simultanément une transition énergétique, ce qu’ils n’ont pas su faire en 30, 40 ou 50 années au pouvoir ?

Les fonds verts dont tout le monde parle et dont personne n’a encore vu la couleur, iront juste renflouer leurs comptes offshore et compenser la baisse de leur argent de poche. Et personne n’est dupe apparemment, raison pour laquelle les donateurs tardent à délier les cordons de leur bourse !

Une autre pratique qui doit changer par rapport au schéma historique, c’est celle qui consiste à cantonner l’Afrique à un rôle de mine à ciel ouvert d’où l’on vient extraire les matières premières, qui sont transformées dans les pays occidentaux ou émergents puis réexportées sous forme de produits finis vers Afrique. Le bilan carbone de ce type de commerce n’est glorieux pour personne.

Et il nous faut admettre que l’Afrique ne se développera pas sans création de valeur ajoutée locale. Il est donc urgent de s’atteler à concevoir des modes de production plus respectueux de l’environnement, moins énergivores et faisant appel aux sources fantastiques d’énergies renouvelables dont le continent regorge ; avec en plus cette possibilité qui existe de développer pour les zones rurales ou isolées une fourniture d’énergie véritablement décentralisée, qui s’inspire de ce que le téléphone portable a permis de faire sur le continent.

 

2.3       Au niveau des sociétés civiles enfin

Au plan économique, lorsque l’on voit l’énergie, l’ingéniosité déployées par les jeunes, par les femmes, par les entrepreneurs et agriculteurs du continent pour faire vivre leur famille, avec si peu de moyens, on peut dire que le potentiel existe pour un vrai décollage économique de l’Afrique subsaharienne. Des modèles vertueux commencent à se mettre en place ça et là dans les productions et industries non délocalisables, qui sont pour un temps à l’abri de la concurrence internationale.

Je pense aux techniques agro-écologiques intégrées dont le centre Songhaï fait la promotion, à d’autres modèles d’agro foresterie qui sont mises en place en Afrique centrale. Les solutions existent donc et ne demandent qu’à être soutenues et vulgarisées, en bénéficiant aussi du retour d’expérience de ceux qui, dans le monde occidental, ont fait l’expérience de systèmes de production inadéquats avant de revenir à des modèles plus vertueux.

Le savoir, dit-on, est l’une des rares richesses qui s’accroît lorsqu’on la partage. Alors, n’hésitons pas à partager nos technologies, nos savoirs, nos savoir faire, nos expériences. Nous en sortirons tous et chacun nourris et plus riches. Les sociétés civiles africaines l’on compris, de longue date; elles se libèrent et se déploient progressivement pour construire cette Afrique des peuples, ce vrai mouvement citoyen panafricain qui, j’en suis convaincue, apportera des réponses concrètes pour l’après COP 21, si le monde ne laisse pas des régimes fossilisés lui couper les ailes.

Dans certains pays, des organisations et mouvements de la société civile sont déjà organisés pour veiller à la transparence dans la gestion des ressources budgétaires ou des revenus issus de l’exploitation des ressources minières nationales.

Au cours d’élections qui se sont récemment déroulées des pays voisins du Togo, des regroupements d’organisation de la société civile ont fait un travail remarquable de supervision de l’ensemble du processus électoral et des votes, de vigie et de remontée d’information vers des Commissions électorales nationales (CEN) parfois débordées. Certaines coalitions d’organisations de la société civile vont jusqu’à mettre en place leur propre système de décompte parallèle des voix. Et lorsque les CEN et les Cours constitutionnelles qui valident les résultats n’ont rien à se reprocher, ce décompte parallèle de la société civile ne pose aucun problème. Bien au contraire, il incite à vérifier les résultats des calculs pour éviter que de prétendues erreurs de calcul ne remontent jusqu’à la Cour Constitutionnelle.

De plus en plus, après les élections, les coordinations d’organisation de la société civile mettent en place des plates-formes de veille citoyenne, d’évaluation citoyenne de l’action gouvernementale dont le but est de “monitorer” les réalisations par rapport aux promesses électorales des élus, afin de tirer la sonnette d’alarme, à temps.

Et lorsque leur énergie n’est plus préemptée uniquement par la lutte pour le respect des droits Humains et l’instauration de la démocratie, lorsqu’elles ne sont pas mises au pas par un régime autocratique pervers, ces organisations de la société civile font leur part du travail et apportent leur contribution, mettent la main à la pâte, aux plans économique, social et environnemental. Parce que ces organisations et leurs membres ont compris que le développement durable est l’affaire de tous et que leur avenir est là, dans leur pays et non dans des embarcations de fortune qui s’abiment en Méditerranée.

L’après COP 21 c’est aussi cela : des populations qui prennent en main leur destin et celui de notre planète.

Paris, le 30 mars 2016